AMERO (Constant) . Le Tour de France d'un petit Parisien .
450,00 €Prix
Paris, A la Librairie illustrée, [1886], gr. in-8 (28 x 20 cm), percaline rouge. Au premier plat noir, vert et or, Jean en tenue de marche, bâton en main, devant un panneau indicateur, quitte un village au soleil levant, encadré de montagnes (d'après la page de titre), le nom de l'auteur sur une banderole dorée pendue à un piquet sur la droite. Au second plat, riche encadrement noir et fer central, au dos, partie gauche d'une carte de France dorée (où est marqué le réseau hydrographique) et silhouette noire d e Jean au niveau des Pyrénées, portant baluchon et faisant signe de la main, tr. dorées (A. Souze, graveur), (4)-795-(1) pp. ¦Édition originale illustrée de 99 gravures de Jules FÉRAT, d'abord publiée en cent livraisons, dont une de table. Le journali ste et romancier Constant Améro (1832-1908) a fondé la Revue franco-slave en 1857. Il s'est fait connaître par son association avec le Suisse Victor Tissot (1845-1917), cosignant des romans d'aventures, de voyage et d'actualité à succès (Les Mystères de Berlin, 1879, La Russie rouge, 1880, La Vie en Sibérie, aventures de trois fugitifs, 1881, etc.). Ce dernier titre paraît en feuilletons dans le Journal des voyages, dans lequel il signe seul Le Coq rouge, aventures de deux petites Parisiennes en Russie (1884) puis Le Tour de France d'un petit Parisien du 5 octobre 1884 au 16 mai 1886 : "M. Améro a pensé qu'après avoir initié nos lecteurs à la vie des peuples des contrées lointaines, il était bon de leur offrir un ouvrage attachant, rempli d'ave ntures de tout genre, ayant pour cadre notre propre pays, si digne d'être connu de tous ses enfants", dit le Journal des voyages. Ce récit fait "opportunément redécouvrir la géographie nationale à travers le regard ingénu d'un jeune garçon et de ses com pagnons, des touristes britanniques", dit Solange Vernois ("La représentation du fleuve dans le Journal des voyages (1877-1896)" dans Fleuves de France atlantique, 2003). Le livre se présente explicitement comme une imitation du Tour de la France par deux enfants de G. Bruno (1877), tout en étant "d'un patriotisme militant et plus nettement antigermanique que son prédécesseur" note H.-J. Lüsebrink ("Littérature nationale" et "espace national", Qu'est-ce qu'une littérature nationale ?, 1994), citant un "Avis de l'Éditeur", selon lequel c'est "une oeuvre nationale, saine et puissante, capable de stimuler le sentiment patriotique". Les deux livres ont en effet le même point de départ : la perte de l'Alsace-Lorraine. Mais ils s'opposent profondément, s elon Patrick Cabanel, auteur d'une monumentale étude sur Le Tour de la nation par deux enfants (2007) : "alors que G. Bruno habillait d'un prétexte romanesque une encyclopédie nationale, son vrai dessein, Constant Améro injecte du didactique dans la tram e échevelée d'un roman populaire." En effet, Jean Risler, le héros, est un orphelin alsacien recueilli par un oncle à Paris, qui s'est mis en tête de sauver l'honneur de son père. Pour cela, il doit retrouver un cousin malhonnête, de surcroît époux d'une A llemande, qui s'est emparé des décorations et de l'identité de son père, héros patriote disparu au combat, faisant croire qu'il avait été fusillé pour traîtrise au profit de l'Allemagne... L'action débute en 1877, Jean, âgé de 15 ans, se rend à Aurillac où il a appris que se trouvait son cousin, devenu un dangereux escroc, flanqué d'un commerçant allemand antipathique. "Le livre multiplie les péripéties, les invraisemblances, les rencontres miraculeuses : il flirte par moment avec le conte, comme dans cet te scène où Jean, qui a commis l'erreur de monter dans la calèche des deux escogriffes, la voit s'enfoncer dans un bois sombre et désert du Cantal, où il semble qu'on ait décidé de le pendre - il s'échappe de justesse...". Chaque étape du voyage est l'oc casion de descriptions géographiques. "Et le voyage en 795 pages va mener [le lecteur] à travers tout le pays, puisque Jean Risler se lance dans une quête compliquée : retrouver les compagnons d'armes de son père, qui seuls pourront rétablir sa réputation" . De l'Auvergne, on passe dans l'Orléanais puis le Bourbonnais, la Normandie, etc., sur les traces des uns et des autres, d'erreurs en fausses pistes, croisant régulièrement une famille de riches Anglais visitant les hauts lieux touristiques de notre pays (châteaux de la Loire, etc.) et on les accompagne en croisière sur la Manche. Mais Jean est sans cesse devancé par son cousin, devenu saltimbanque dans un cirque, qui s'empare des papiers gardés par certains témoins. "Désespérant de laver l'honneur de son père, Jean retourne chez son oncle maternel à Paris, grandit dans une tristesse durable, est engagé par un libraire qui l'envoie tenir boutique à la foire de Lille. Il se fait colporteur de livres et parcourt avec son ballot la France du nord et de l'est, retrouve et accompagne le cirque minable (...). Il lave enfin l'honneur de son père et finit par se réconcilier avec son cousin après avoir parcouru les Pyrénées et le Sud-Ouest, le Massif central, les Alpes, la Provence. A la fin du livre, il s'apprête à s'embarquer pour le Congo, auprès de Savorgnan de Brazza, afin de mieux conquérir Sylvia", une fillette kidnappée dans le cours du récit, et qu'il a retrouvée. Patrick Cabanel recense vingt-neuf tours de la France entre 1877 et 1940. Les deux modèles décl arés, d'Améro et des autres auteurs, sont G. Bruno et Sans famille d'Hector Malot (1877), "deux chefs-d'oeuvre à la fois si voisins et si distincts". Bien entendu, c'est un genre didactique plus ancien. Pour ne s'en tenir qu'aux modèles rencontrés en pl at historié, citons Voyage en France d'Amable Tastu (1846, PH 13/244), repris ensuite dans Voyage en zigzags de deux jeunes Français en France de G. Bonnefont (1889, PH 11/212) ou plus tard dans Le Nouveau voyage de France de L. Barron (1897, PH 13/2 60). Tous ces ouvrages ont pour vocation de faire découvrir et apprécier les richesses et les contrastes du pays aux jeunes lecteurs, de leur apprendre les moeurs, coutumes, usages, particularismes des différentes provinces, en un temps où on ne se dépla çait pas encore facilement, et où l'information sur ces sujets devait être vulgarisée le plus largement possible - pour des raisons idéologiques autant que pédagogiques - par le Journal des voyages, par exemple. Manifestement, pour remplir cet objectif, C. Améro a choisi, pour intéresser ses lecteurs, de corser son contenu pédagogique par une fiction patriotique particulièrement rocambolesque, qui s'explique par les circonstances de la rédaction, mais qui a certainement aidé à la diffusion de ce récit à tiroirs et à rallonges. Faire découvrir le "beau pays de France" valait bien cette "vaste composition". Bel exemplaire.
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