JACOLLIOT (Louis) . Le Coureur des jungles .
750,00 €Prix
Paris, C. Marpon et E. Flammarion, [1888], gr. In-8 (27,5 x 20 cm), percaline rouge. Au premier plat, noir, bleu et or, décor allégorique composé de quatre portraits-médaillons aux angles représentant les différents groupes humains (Indien dAmérique, Africain, Japonais, paysanne européenne), au centre médaillon doré (un Hindou chevauchant un éléphant, p. 113),entouré de deux lions rugissant de part et dautre, en haut faisceau darmes et doutils (haches, fourches, piques, lance, fusil, baïonnettes, ancre, etc.), sur fond de nattes, encadrement de bambous. Au second plat, encadrement de motifs en forme de vagues et vignette octogone au centre, au dos, motifs de bambous et de nattes empruntés au plat (en bas et en haut), ancre au centre, palmes et faisceau darmes et doutils, dont des rames (dans un ordre différent de celui du plat), tr. dorées (Trinquier, dessin, J. Hermin, graveur), (4)-647-(1) pp. ¦Édition illustrée par Horace Castelli (1824-1889), dessinateur attitré du Journal des voyages. Première édition publiée en 81 livraisons par la Librairie illustrée, parallèlement à une parution en feuilletons dans le Journal des voyages du 6 novembre 1887 au 27 janvier 1889. Cet ouvrage de Louis Jacolliot (1837-1890) a été étudié par Daniel Compère qui note que « ce roman est intéressant non pas tant par la vision européenne de lAsie qui est fort partagée à lépoque, mais par sa participation à la construction du mythe de Nana Sahib et la mise en scène dun personnage de vengeur qui séloigne du modèle de Monte-Cristo de Dumas par sa dimension politique. » (Revue Jules Verne & Cie n°1, LAsie mystérieuse, 2011).Le personnage historique du révolté Nana Sahib nest pas le héros principal du récit mais, comme dans La Maison à vapeur de Jules Verne (1880), le récit le réactive et lui fait vivre de nouvelles aventures apocryphes (dans la réalité, Nana Sahib disparaît sans laisser de traces après la révolte des Cipayes, en 1857). Le héros du livre est un Français persécuté par les Anglais. Lauteur dit sêtre inspiré dun personnage réel, come le rappelle la Revue bleue :« Le Coureur des jungles, par Louis Jacolliot, est un des spécimens les mieux réussis de ces grands romans d'aventures, appuyé sur des faits historiques, qui ont de tout temps passionné la jeunesse. Le héros du récit, à ce que nous assure l'auteur, n'est pas un mythe inventé à plaisir ; M. Jacolliot l'a connu dans l'Inde qui fut le théâtre de ses exploits. Cet audacieux soldat, d'origine française, avait formé le rêve, aussi grandiose que patriotique, de venger Dupleix et la France de toutes les trahisons des Anglais, de soulever les provinces du sud de la Péninsule faisant partie de l'ancien Décan, au moment où l'Angleterre, épuisée par la guerre de Crimée, ne pouvait envoyer de renforts à la poignée de soldats irlandais qui résistaient bravement aux cipayes du nord révoltés, d'écraser ainsi la puissance britannique et de rétablir notre domination dans l'Hindoustan. Pour réaliser son plan, il avait fait luire aux yeux des rajahs l'espoir de retrouver leurs trônes confisqués ; il s'était affilié à toutes les sectes, et il avait ourdi une vaste conspiration dont le dévouement des Indiens semblait assurer le succès ; un fatal concours de circonstances arrêta la réussite de ces projets. En retraçant les exploits de cet aventurier de génie, M. Jacolliot a rappelé les dramatiques épisodes de la grande révolte de 1857, en même temps qu'il nous initiait à la vie et aux mœurs de l'Inde, aux pratiques étranges et mystérieuses de ses sociétés secrètes. » (Revue bleue: politique et littéraire, 1888).Après Jules Verne et Alfred Assolant, le romancier Louis Jacolliot alimente la veine de la fantasmagorie hindoue et la présence fantasmatique de lInde dans la fiction, qui se poursuivra après lui de Paul dIvoi à Delly. LInde est le pays des mystères, des prodiges, de lOrient merveilleux et extravagant, thématique explorée par Christian Petr dans L'Inde des romans (Éd. Kailash, 1995).Au XIXe siècle, les révoltes indiennes ont marqué les esprits occidentaux, qui découvraient lexistence des sociétés secrètes telles que les Thugs. Le thème de létrangleur devint à la mode sous le Second Empire. Cest le sujet du livre de Martine van Woerkens, Le Voyageur étranglé : l'Inde des Thugs, le colonialisme et l'imaginaire (Albin Michel, 1995). Les Thugs sont du reste convoqués par Louis Jacolliot au moment central du roman lorsquils enlèvent Diane, la sœur du héros (Cinquième partie, « Les Mystères des caveaux de Karli », p. 376-384).LInde est aussi le pays des fakirs, de leurs miracles ou de leurs tours de passe-passe, qui marqueront durablement limaginaire occidental (le fameux tour de la corde). Ils ont inspiré à Jacolliot son Voyage au pays des fakirs charmeurs (1881). Ces personnages sont dautre part une source dinspiration spirituelle pour lOccident, lorsque les théosophes, à la suite de Madame Blavatsky, y puiseront leur enseignement.Dans Synarchie et pouvoir, André Ulmann et Henri Azeau mettent en évidence leur influence sur les mystiques occidentaux, tel Saint-Yves d'Alveydre (1842-1909). Comparant ce dernier avec Louis-Claude de Saint-Martin, ils écrivent :« De tels scrupules n'embarrassent pas Saint-Yves. Il enchaîne avec autorité un incroyable fatras d'erreurs historiques et d'inventions qui pourraient paraître délirantes si l'on ne savait qu'elles ont été pillées, et quasiment d'un bout à l'autre, dans les œuvres d'un formidable épicier de l'écriture qui a nom Louis Jacolliot. Il est temps de nous arrêter sur ce Jacolliot, que l'on présente volontiers, ainsi que Saint-Yves, comme un « polytechnicien » sans plus expliquer que, dans le premier cas, pourquoi des « polytechniciens » seraient allés se perdre loin de chez eux dans des emplois obscurs, subalternes et mal payés. La seule liste impressionnante de ses œuvres révèle chez cet auteur beaucoup moins de préoccupations occultistes que le souci de profiter littéralement de la crédulité humaine. Si l'on analyse la composition des ouvrages de Saint-Yves, on s'aperçoit qu'il emprunte à Saint-Martin son fond spiritualiste, à Fabre d'Olivet sa méthodologie occultiste et à Louis Jacolliot le décor d'hindoumanie exotique propre aux floraisons mystiques. »Ils précisent en note que Louis Jacolliot « passe quelques années sous le second Empire comme président du Tribunal de Chandernagor (il aurait été également consul de France à Calcutta), puis de Tahiti. Revenu en France après 1870, il publie, à raison de plusieurs volumes par an et presque sans défaillance jusqu'à sa mort, une série d'ouvrages qui ont en commun le souci d'exploiter le goût du public pour l'exotisme. Outre de nombreux récits de voyages lointains, Jacolliot révèle les aspects plus ou moins mystérieux de l'exotisme. Aussi ses œuvres couvrent-elles un large registre de préoccupations. Cela va de Chasseurs d'esclaves et de Coureur des jungles, à l'Histoire des vierges (sic) et aux Mangeurs de feu. Mais on note aussi Chrishna et le Christ, Fétichisme, polythéisme, monothéisme (traditions hindoues et chaldéennes), Rois, prêtres et castes, le Spiritisme dans le monde, les Traditions indo-asiatiques, etc. Cette littérature prétendait, entre autres révélations, fonder l'hindoumanie de nos sociétés secrètes occidentales que les francs-maçons britanniques ne se faisaient pas faute d'exploiter déjà. L'ensemble des connaissances sur l'Inde que Jacolliot a découvertes ou parfois inventées a été pillé au petit bonheur la chance par nombre de successeurs, de Saint-Yves d'Alveydre, dans sa Mission des Hindous, à Rudyard Kipling. » (André Ulmann, Henri Azeau, Synarchie et pouvoir, 1968, p. 40).Il est intéressant de noter ici comment les œuvres imaginatives des romanciers peuvent servir de source à des théories philosophiques et ésotériques dont on finit par perdre de vue lorigine. Cet ouvrage fait partie dune série de quatre, dont nous avons déjà décrit Les Ravageurs de la mer (1890, PH 34-644).Très bel exemplaire.
SKU : 9501332