TISSOT (Victor). Voyage au pays des milliards
750,00 €Prix
Paris, L. Schulz et fils, libraires-éditeurs-commissionnaires, [1878], gr. in-8 (27 x 19,5 cm), percaline verte. Au premier plat, décor noir et or sur le thème de largent, de la puissance industrielle et de larmement (daprès la page de titre), le mot milliards formé de piles de pièces dor, posées sur un tas de billets et de pièces traversé dun sabre croisé dun pistolet, le mot pays sur le blason à laigle germanique (évoquant un casque), de part et dautre, vus de face, un canon tonnant et une locomotive, dont les fumées respectives se mêlent aux nuées vaporeuses parcourues doiseaux noirs (corbeaux), où sinscrit le mot voyage dont le A forme la pointe du casque, le tout dominé par un grand aigle, surmonté lui-même de la silhouette dune forteresse bâtie sur un promontoire émergeant des nuées. Au second plat, encadrement de motifs géométriques, vignette centrale noire, au dos, casque à pointe coiffant des sacs dor eux-mêmes posé sur des billets et des pièces, croisé de deux flambeaux, tranches dorées (A. Souze, graveur, J. Galicher fils, relieurs), 403-(5) et 432 p.¦Édition illustrée par Daniel Vierge, D. Lancelot (gravé par H. Allouis, Sargent, Berveiller), Férat, Castelli (gravé par Berveiller), Valnay, Loeffler, Brendamour, O. Roth, Alphonse Lévy, Marius Perret, etc., cartes et plans (p. 61, 80, 152, 165, tome 2, p. 425).Deux tomes et 104 livraisons en un volume : 1, LAllemagne du Sud et lAllemagne centrale, Berlin et les Berlinois. 2, Les Prussiens en Allemagne.Le journaliste Victor Tissot (1845-1917), d'origine suisse, fut un grand voyageur. Il se fit connaître par des livres polémiques sur l'Allemagne et l'Autriche dès 1875 (Voyage au pays des milliards), dont il utilisa la documentation pour écrire des romans populaires, comme Les Mystères de Berlin (1879), première collaboration avec le romancier Constant Améro (1832-1908). Les deux auteurs travaillèrent ensuite pour le Journal des voyages jusquen 1884. Ils cosignent encore Les Contrées mystérieuses et les peuples inconnus (Firmin-Didot, 1884, PH 31/599). Entre temps, Tissot avait visité La Hongrie (1880, édition illustrée en 1882, PH 11/230) et La Russie et les Russes (Plon, 1882, édition illustrée en 1883, PH 6/124 ; nouvelle édition, 1893, PH 27/52).« La première enquête qui donne aux Français une image de la nouvelle Allemagne est celle de V. Tissot. Son Voyage au pays des milliards remporta un triomphe ; en ces années d'après-guerre, il présente à l'opinion publique une vision de lAllemagne qui lintéresse, lui convient, et la fixe. Ce succès fait son importance. Son livre sera souvent rappelé, pour la louange ou la critique, par les voyageurs qui après lui se rendront en Allemagne. V. Tissot présente les Allemands chez eux, et occupés aux travaux de la paix ; c'est presque une nouveauté, puisqu'à l'époque on les montrait surtout en soldats et sur le sol français. Autre nouveauté : il s'adresse à un large public, auquel il découvre l'Allemagne réelle, et ne se préoccupe guère de philosophie ni de science. Enfin, il décrit toute l'Allemagne, et non plus des pays politiquement séparés ; il s'adapte à une réalité historique neuve. Comment celle-ci lui apparaît-elle ? Assez différente des fantaisies imaginées avant la guerre : l'Allemagne n'est plus celle des légendes naïves, des douces ballades, des rêves gothiques, des saintes cathédrales, mais l'Allemagne du sang et du fer, des canons, de la mitraille et des batailles. V. Tissot montre comment elle cultive la haine de la France dans ses musées, dans ses universités, dans ses écoles (…). De son livre surgit un nouveau visage de lAllemagne. Celle-ci na plus les mérites quont vantés Mme de Staël et les libéraux français : mais aussi elle nest plus la nation guerroyante de 1870-1871. Peu séduisante, souvent hostile, cette Allemagne de 1875 paraît incertaine, encore mal établie en sa demeure, mal à l'aise en ses institutions. C'est un pays ennemi, et Tissot y dénigre systématiquement tout ce qu'ont loué les patriotes allemands et les germanophiles français. Mais le Voyage au pays des milliards, œuvre d'animosité, soulage les colères plutôt qu'il ne les alimente : prendre le maître en flagrant délit de grossièreté ou de mensonge, ce n'est pas en appeler à la vengeance. Touriste sans bienveillance, Tissot présente une Allemagne sans prestige, souvent ridicule, mais non odieuse : « L'Empire, c'est le déficit. » V. Tissot n'insiste pas sur ce point, mais souligne le particularisme bavarois ; voir en particulier la critique des universités ; cependant Tissot reconnaît la réussite exemplaire des Kindergarten, organisés suivant la méthode de Froebel. Le succès du Voyage au pays des milliards incita l'auteur à le recommencer (Les Curiosités de l'Allemagne du Nord, Paris, Delagrave, 1885). En ce sens, le succès de son enquête est intéressant. » (Claude Digeon, La Crise allemande de la pensée française, 1870-1914, 1992).De fait, cet ouvrage aura une influence notable et servira de référence à toute la génération de 1870-1914. Ainsi, Jean Ajalbert fait-il fréquemment allusion à ce livre dans ses Notes sur Berlin (1894). « De fait, il n'y a pas à être surpris que Victor Tissot, écrivain à l'esprit et à la plume acérés, et un des premiers hommes de lettres à franchir la frontière après 1871 (…), soit le plus souvent mentionné. Pour le meilleur, et plutôt pour le pire. Pour une marque d'admiration comme celle d'Anatole Bordot qui recommande la lecture de Tissot à un pasteur allemand, combien d'autres ont eu des jugements aussi lapidaires que Victor Cambon ou Jules-Émile Legras, lorsqu'ils ont mis ce véritable succès de librairie à l'épreuve de leur expérience ! « Sur l'exemplaire du Voyage au pays des milliards que possède la Bibliothèque royale de Berlin, j'ai trouvé, parmi de nombreuses annotations à l'adresse de V. Tissot, les simples mots dédaigneux : Pauvre garçon. Les livres de V. Tissot, et surtout son Voyage au pays des milliards ont contribué à répandre chez nous l'idée que nous étions fort mal reçus à Berlin et que, à chaque tournant de rue, nous y courions le risque d'être lapidés. Je me souviens de l'étonnement de Jules Simon quand il vint en mars 1890 assister à la conférence pour la protection des ouvriers : le bon vieillard n'en revenait pas des avances qu'on lui faisait, des politesses dont il était accablé. » Le publiciste Victor Cambon, qui poursuit en Allemagne une enquête sur l'économie et l'agriculture dix ans après le voyage de Tissot, mâche encore moins ses mots : « Journaux, brochures, livres à succès se sont donné le mot pour nous rassurer, nous amuser, nous endormir. Nous avons dévoré les ouvrages de Victor Tissot et ajouté foi sans contrôle à tous ses petits potins ! Rappelez vous le Voyage au pays des milliards : c'était un beau titre, et le contenu coulait comme un baume trompeur sur nos plaies encore saignantes ; puis sont venus Les Prussiens en Allemagne ; le ton n'avait pas changé. Enfin cette mine s'épuisant, on a vu l'Allemagne amoureuse ; à peine s'est-on aperçu que l'on nous réservait, sous étiquette allemande, toutes les grivoiseries que les petits journaux pornographiques avaient déjà offertes à leurs abonnés, ou que les potaches de seize ans se chuchotent à l'oreille. Après les deux premiers, on pouvait croire cet homme de lettres victime d'un patriotisme aveugle; au troisième, on aurait dû comprendre qu'il n'avait jamais poursuivi d'autre but qu'un fort tirage en librairie. » (Hélène Barbey-Say, Le Voyage de France en Allemagne : De 1871 à 1914, voyages et voyageurs français dans l'Empire germanique, 1994)Témoins de ce succès, les éditions se succèdent et en 1878 le libraire Schulz publie une édition illustrée avec un plat historié synthétisant de manière frappante le contenu du livre en une image-choc extraordinaire due au talent dAuguste Souze.Existe aussi en bleu marine.Bel exemplaire.
SKU : 9501328